«La croissance est un signe de réussite»

En 2040, la population de la Suisse devrait dépasser les dix millions d’individus. Martin Neukom, conseiller d’État zurichois, et Gerhard Meyer, directeur de l’Association des entrepreneurs Zurich/Schaffhouse, s’expriment sur les opportunités.

Cette année encore, la Suisse comptera neuf millions d’habitants. En 2040, la population devrait dépasser les dix millions d’individus. Martin Neukom, conseiller d’État zurichois, et Gerhard Meyer, directeur de l’Association des entrepreneurs Zurich/Schaffhouse, s’expriment sur les conséquences et les opportunités d’une population en forte croissance.

En 2040, la Suisse devrait franchir la barre des dix millions d’habitants. Quel est l’impact sur le pays?

Martin Neukom: Pour moi, cette barre des 10 millions a deux aspects. D’une part, les débats politiques et les médias soulignent souvent à quel point il sera difficile, source de conflits ou complexe que de plus en plus de personnes vivent en Suisse à l’avenir en raison du besoin considérable en infrastructures, espace et zones de loisirs de proximité que cela entraîne. D’autre part, cela signifie aussi qu’il est attrayant de vivre en Suisse, par exemple dans le canton de Zurich. La croissance est un signe de réussite, car qui aime déménager dans un canton peu attrayant? Mais il est clair que nous serons confrontés à d’importants défis. Nous le remarquons notamment dans l’aménagement du territoire. Le besoin de surface engendre de plus en plus de conflits d’intérêts. Prenons l’exemple des bâtiments scolaires: nous avons du mal à construire autant d’écoles que nécessaire compte tenu de l’augmentation du nombre d’élèves. Et il n’y a pas assez de place.

Gerhard Meyer: Je ne sais pas si la Suisse dépassera la barre des 10 millions en 2040. Cela dépend aussi de facteurs externes, de ce qui se passe dans le monde et en Europe. Je considère une Suisse comptant 10 millions d’habitants comme étant à la fois une condition-cadre et une opportunité. Pour le secteur de la construction, cela signifie par exemple former davantage d’apprentis, c’est-à-dire une future main-d’œuvre qualifiée.

Dans quelle mesure êtes-vous sûr que ce scénario des 10 millions d’habitants se réalisera?

Martin Neukom: Je pense que oui dans la mesure où la croissance reste constante. Cela dépendra toutefois de notre capacité à créer suffisamment de place, car sans nouveaux logements, cette croissance n’aura pas lieu.

Gerard Meyer: Une Suisse comptant 10 millions d’habitants est réaliste. L’histoire des mouvements de population montre que les gens vont là où c’est intéressant pour eux. Je suis convaincu que durant les décennies à venir, Zurich en particulier et la Suisse en général continueront à attirer l’attention.

Cette Suisse de 10 millions d’habitants est aussi source d’incertitudes et de craintes au sein de la population. Qu’est-ce que vous faites pour lutter contre cela?

Martin Neukom: Je n’ai pas de recette miracle, mais je comprends les incertitudes et les inquiétudes. Face aux défis de la croissance, aucune mesure politique simple n’est utile. Sinon, elle aurait été prise depuis longtemps. C’est pourquoi j’ai du mal à accepter que certains veuillent stopper l’immigration en Suisse en fermant simplement les frontières. En pensant que les problèmes seraient alors résolus. Ce n’est pas le cas, comme le montre l’exemple de la Grande-Bretagne. Depuis le Brexit, l’immigration a même augmenté. Pas en provenance de l’UE, mais de pays tiers.

Gerhard Meyer: Je ne fais pas de politique et je ne sais pas comment faire en sorte que les gens n’aient pas peur des changements. Nous devons éviter les polarisations extrêmes au sein de la population. Le manque d’acceptation aurait pour conséquence que chacun ne défendrait plus que sa position. Plus personne ne chercherait alors des solutions communes.

La place économique zurichoise devrait connaître une croissance disproportionnée par rapport à d’autres régions du pays. Qu’est-ce que cela signifie?

Martin Neukom: En tant que conseiller d’État, je suis heureux que Zurich soit si prisée comme place économique. Mais comme je l’ai dit, cela comporte aussi des difficultés. Pour la construction: actuellement, nous sommes en train de démolir et de reconstruire de nombreux bâtiments. Cela entraîne toujours une perte d’identité et génère d’importantes émissions de CO2. C’est pourquoi nous analysons actuellement ce qu’il faut faire pour moins démolir les constructions et plutôt les développer. Le mot-clé est «construire dans le bâti», par exemple avec un entretien, une surélévation, une transformation ou une extension des bâtiments. De telles mesures permettent de rendre la croissance plus supportable pour les gens. Parallèlement, il y aura toujours des situations dans lesquelles construire sera inévitable, faute de quoi il ne sera pas possible d’atteindre l’exploitation souhaitée.

Gerhard Meyer: Où est-il judicieux de construire un nouveau bâtiment? Un assainissement suffit-il? Je pense qu’il faut faire un mix raisonnable. Ce qui signifie qu’à l’avenir, il faudra réfléchir et planifier de manière encore plus globale pour la population résidentielle et l’ensemble de la population.

La densification immobilière des zones d’habitation existantes est-elle une solution?

Martin Neukom: La densification immobilière est l’objectif déclaré du canton de Zurich. Elle s’inscrit dans le cadre d’un développement urbain territorial de qualité. Et elle empêche la poursuite du mitage du paysage ainsi que les effets négatifs qui en découlent sur l’environnement et l’agriculture. Les quartiers à forte densité présentent de nombreux avantages: il vaut par exemple la peine d’y tenir des bars, des cafés et des restaurants, car il y a de nombreux clients potentiels. Le principe est le suivant: plus la densité est élevée, plus les voies de circulation sont courtes. À Winterthour, où j’habite, je me déplace surtout à pied ou à vélo pour cherche les principales choses dont j’ai besoin.

Gerhard Meyer: Là où beaucoup de gens vivent dans un espace restreint, la densification est une solution: c’est-à-dire construire en hauteur pour une utilisation optimale de la surface. Mais je vois aussi des problèmes: plus d’habitants, cela signifie aussi plus de trafic. Il en résulte non seulement davantage d’embouteillages et des transports publics surchargés, mais aussi une surcharge des infrastructures existantes telles que les parcs, les écoles ou les piscines.

Dans une ville dite des 15 minutes, comme envisagé à Zurich, tout est accessible en 15 minutes à pied depuis son appartement: le lieu de travail, les commerces, la crèche et le médecin de famille. Un concept d’habitat du futur?

Martin Neukom: Oui. Il est intéressant d’habiter dans une ville dite des 15 minutes, où l’on peut se rendre à pied ou à vélo pour chercher tout ce dont on a besoin au quotidien. Toutefois, il ne faut pas prendre cela trop au pied de la lettre – on n’atteindra pas tout en 15 minutes, mais beaucoup de choses.

Gerhard Meyer: L’idée de tout avoir à proximité est séduisante. Mais je doute que l’homme qui a grandi dans un monde globalisé puisse se laisse limiter de la sorte. Je crois qu’on en reste à l’idée visionnaire, qui ne sera pas mise en œuvre parce qu’il n’y a pas de lien avec la réalité.

Monsieur Meyer, en tant que représentant des entrepreneurs-construction, êtes-vous satisfait du canton de Zurich?

Gerhard Meyer: Je suis très satisfait et considère le service des bâtiments et le service des ponts et chaussées du canton de Zurich comme un partenaire important et fiable, avec lequel nous échangeons régulièrement de manière constructive.

Du point de vue des entrepreneurs-construction, avez-vous un souhait à adresser au canton de Zurich?

Monsieur Meyer: Nous souhaitons que le canton reste toujours conscient de son rôle de pionnier pour les communes. Concrètement, l’application de la LMP et de l’AIMP propose des approches pratiques permettant la mise en œuvre des critères de durabilité. Les procédures d’appel d’offres et d’autorisation ne doivent en aucun cas en pâtir, bien au contraire. Les appels d’offres devraient perdre en complexité et en extension permanente.

Comment la Suisse comptant 10 millions d’habitants peut-elle se financer?

Martin Neukom: Je ne m’inquiète pas pour ça. La croissance est plus facile à financer que la récession. L’expérience montre qu’il est possible de trouver suffisamment d’argent en Suisse lorsqu’un investissement en vaut la peine. Et en ce qui concerne le budget de l’État: n’oublions pas que dix millions d’habitantes et d’habitants génèrent également davantage de recettes fiscales.

Gerhard Meyer: Nous devons réfléchir à ce que nous finançons précisément. Un bon équilibre est important, c’est-à-dire pas trop de bien-être, (on pense à la 13e rente AVS), mais davantage de bâtiments et d’infrastructures. Les investissements sont plus durables à long terme que les subventions.

Interview: Werner Schüepp

Au sujet des personnes interviewées

Après son apprentissage de dessinateur-constructeur (dessinateur de machines), Martin Neukom (Verts) a terminé des études de mécatronique à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW). En 2016, il a obtenu son master à l’Université Albert Ludwig de Fribourg-en-Brisgau. En décembre 2019, l’Université d’Augsbourg lui a décerné un doctorat en sciences naturelles. Après quatre ans au Grand Conseil, Martin Neukom a été élu au Conseil d’État zurichois en 2019, où il dirige depuis la direction des travaux publics.

Gerhard Meyer a terminé ses études d’enseignement secondaire phil. I à l’Université de Zurich. Après plusieurs années d’activité en tant qu’enseignant, il a suivi la formation de directeur d’école et obtenu le diplôme FSEA. En 2003, il a repris la direction d’une école secondaire avant de devenir directeur d’un établissement scolaire sur la rive droite du lac de Zurich à partir de 2007. En 2019, il a rejoint l’Association des entrepreneurs ZH/SH en tant que directeur.

A propos de l'auteur

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Schweizerischer Baumeisterverband

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