L'Integrated Project Delivery et ses avantages

Les projets de construction deviennent de plus en plus complexes. La hausse de la demande en raison des faibles taux d’intérêt et de l’immigration, la pression croissante en termes de délais et de coûts et la recherche accrue de durabilité et de qualité entraînent la multiplication des acteurs impliqués dans les projets. Or il est fait peu de cas de la communication entre les différents intervenants – chacun s’occupant exclusivement de ce qu’il sait le mieux faire – avec pour conséquence une fragmentation nette entre les processus de planification et de réalisation. Désaccords, erreurs, rectifications ultérieures coûteuses et retards peuvent en résulter. Il faut donc revoir la façon actuelle d’aborder le processus de construction et s’éloigner de la fragmentation pour tendre vers un processus de travail collaboratif et coopératif.

L’Integrated Project Delivery (IPD) est une méthode de réalisation de projet originaire d’Amérique du Nord qui a pour but d’organiser les projets de construction plus efficacement grâce à une meilleure coordination entre les personnes impliquées. Il s’agit de remplacer la pensée en silo par des objectifs communs au bénéfice du projet global. Les risques doivent être endossés uniformément, de même que les bénéfices sont répartis entre tous les acteurs.

La présente analyse étudie l’origine de l’IPD et les approches correspondantes et tente d’évaluer le potentiel de cette méthode pour le secteur de la construction en Suisse. Quels sont les types de projets de construction qui s’y prêtent particulièrement, et ceux qui conviennent moins? Comment l’IPD peut-elle être appliquée dans les petites et moyennes entreprises de Suisse et dans quelle mesure cela pourrait-il faire évoluer le rôle des entrepreneurs de la construction?

Introduction

Qu’est-ce-que l’Integrated Project Delivery?

L’Integrated Project Delivery (IPD), ou réalisation de projet intégrée, est une méthode de réalisation de projets de construction collaborative dans laquelle l’ensemble des participants (hommes, systèmes, structures et processus) sont impliqués dès le début et supportent ensemble les bénéfices et les risques.

L’American Institute of Architects (AIA) a publié pour la première fois en 2007 une directive contenant des informations sur les applications possibles de l’IPD. En 2010, «The Associated General Contractors of America» (AGC) publiait le document «Integrated Project Delivery – for Public and Private Owners», conçu comme une aide à la bonne utilisation de l’IPD.

L’IPD n’est pas une simple méthode de réalisation de projets: elle représente un véritable changement de paradigme qui vise à surmonter la fragmentation entre les processus de planification et de réalisation. En se basant sur la méthode agile de gestion de projet et les principes de lean management/lean construction, l’IPD met toujours le projet au premier plan. Tous les autres facteurs comme l’appartenance à une société ou les objectifs d’un département lui sont strictement subordonnés. L’IPD doit permettre d’améliorer la compréhension entre les différents acteurs, de répartir les risques et de faire appel aux compétences techniques le plus tôt possible. Les phases de planification peuvent ainsi être réduites et optimisées et les conflits potentiels éliminés d’emblée. Par ailleurs, l’IPD est à la méthodologie ce que le BIM est aux données techniques – tous les participants ont accès à la totalité des informations et travaillent ensemble à la réalisation d’un objectif commun. C’est pourquoi l’utilisation du BIM est requise, ou tout au moins recommandée, pour la mise en œuvre de l’IPD.

Comment fonctionne l’IPD?

Dans les processus classiques de planification et de construction, on répond d’abord à la question QUOI (qu’est-ce qui est planifié?) puis COMMENT, et ce n’est qu’après la soumission que l’on apprend QUI réalisera l’ouvrage planifié. Le recours à l’expertise des entreprises chargées de l’exécution est donc tardif, de sorte que celle-ci ne peut quasiment plus être prise en compte à moins de modifier significativement le projet. Avec l’IPD, le maître d’ouvrage choisit son équipe de projet et les intervenants clés dès le début du projet. Les intervenants clés incluent à chaque fois a minima le maître d’ouvrage, le cabinet d’architectes et l’entrepreneur général. Selon la complexité du projet, il est aussi possible de faire appel à d’autres experts ou entreprises. La sélection ne s’effectue pas au moyen d’une procédure d’appel d’offres classique principalement axée sur le prix, mais sous l’angle de la qualification en fonction des compétences techniques, de l’expérience, du palmarès, de l’intégrité et de la volonté d’engagement dans le processus collaboratif.

Une structure de projet IPD est composée d’une équipe exécutive de projet et d’une équipe de gestion de projet. L’équipe exécutive de projet, qui comprend un représentant de la Direction de chaque intervenant clé, définit la vision et les objectifs de projet globaux. L’équipe de gestion de projet, constituée d’un chef de projet de chaque intervenant clé, détermine la méthodologie et les processus à mettre en place pour atteindre les objectifs. Les équipes IPD sont interdisciplinaires et interfonctionnelles et sont composées de membres aux responsabilités et expériences variées.

La réalisation de projet intégrée est donc largement axée sur la coopération, qui repose elle-même sur la confiance mutuelle. Sans cette confiance, l’IPD ne peut pas fonctionner, c’est pourquoi les participants au projet doivent aussi présenter une comptabilité transparente. De plus, les intervenants clés concluent un accord multipartite au début du projet, avec ou sans création d’une société simple. L’accord stipule que les risques et succès sont répartis uniformément. Les intervenants clés sont rémunérés à la hauteur de leur contribution. Par ailleurs, des primes de réalisation des objectifs sont versées depuis une cagnotte si les objectifs du projet sont atteints. Si les objectifs de projet ne sont pas atteints, il n’y a pas de bénéfice ni de prime. Et en cas d’échec, chaque partenaire endosse une part de la responsabilité. Les coûts de projet et délais planifiés sont garantis par les différentes parties.

Conditions requises à la mise en œuvre de l’IPD

Certaines conditions doivent être réunies pour que l’IPD puisse être mise en œuvre dans le cadre d’un projet de construction. Quelques principes élémentaires sont expliqués ci-après – précisons toutefois que tous les projets ne doivent pas remplir exactement les mêmes conditions. Il peut aussi arriver qu’un projet de construction, bien que cochant toutes les cases, ne se prête pas forcément à la réalisation de projet intégrée. Néanmoins, les points suivants donnent des indications précieuses sur l’opportunité d’appliquer cette méthode de projet.

Conditions relatives au personnel

  • Le maître d’ouvrage prend les décisions relatives à l’exécution du projet de construction. Un maître d’ouvrage agissant pour des raisons purement économiques ou un investisseur qui voit le projet comme un simple objet d’investissement ne convient pas à la mise en œuvre de l’IPD. Les maîtres d’ouvrage de ce type exigent une qualité prédéfinie au prix le plus bas et avec la durée d’exécution la plus courte possible. Ils ne sont pas prêts à supporter les coûts initiaux supérieurs occasionnés par des charges de personnel plus élevées et le risque supplémentaire. C’est pourquoi le maître d’ouvrage doit lui-même accorder de l’importance à la qualité et à la durabilité du bâtiment. Il doit par ailleurs disposer de solides connaissances techniques concernant les processus de construction, les décisions à ce sujet étant prises de façon collaborative. Enfin, la tolérance au risque joue aussi un rôle – le maître d’ouvrage est-il prêt à courir un risque supplémentaire pour une valeur de projet accrue?
  • Le choix des bons partenaires clés est l’une des principales difficultés de l’IPD. Il est possible qu’une entreprise dispose du savoir-faire nécessaire et ait déjà travaillé à l’entière satisfaction du propriétaire par le passé, mais qu’elle ne sache pas travailler dans un environnement collaboratif. Il est donc crucial de sélectionner les partenaires adéquats pour cette méthode. Ceux-ci doivent notamment être entièrement disposés à respecter et appliquer les particularités de l’IPD.

Conditions contractuelles

  • La confiance mutuelle est une condition indispensable à la réalisation de projet intégrée. Pour commencer, le maître d’ouvrage ne sélectionne pas les participants au projet à l’aide d’une procédure d’appel d’offres classique mais sur la base de leurs compétences, de la qualité et de leur expérience de la gestion de projet collaborative. Pendant le projet, la comptabilité doit être en principe consultable afin d’améliorer la transparence en matière de coûts.
  • Lors de la phase de conception, un accord multipartite est conclu (planification détaillée, team building intensif et négociations minutieuses); il s’applique à l’ensemble du projet. L’accord répartit les risques et les succès entre les participants au projet et garantit les coûts et les délais. Tous les participants doivent trouver un intérêt à la conclusion de l’accord, et donc être convaincus que grâce à cette méthode, ils seront gagnants à la fin.

Conditions culturelles

  • Une communication efficace et transparente est indispensable à la réalisation de projet intégrée. Réunir l’équipe de projet sous le même toit favorise la communication et peut renforcer le sentiment d’appartenance. Cependant, la plupart des projets impliquant de nombreux participants, il est aussi possible d’organiser parfois des réunions virtuelles.
  • Le sentiment d’appartenance des participants au projet doit être encouragé afin de maintenir leur adhésion. C’est pourquoi toutes les parties prenantes doivent continuer d’être impliquées, y compris lorsqu’elles ont déjà terminé leur mission. Les équipes de projet doivent toutes avoir le même objectif, indépendamment de l’entreprise à laquelle elles appartiennent et de leur poste: mener à bien le projet de construction.

Conditions techniques

  • Sur le plan technique, l’utilisation du BIM est requise – ou tout au moins fortement recommandée – pour la mise en œuvre de l’IPD. L’échange continu d’informations et du modèle numérique sert de base à une communication cohérente et ouverte, élément clé de la réalisation de projet intégrée. Seul un modèle de bâtiment intégral et accessible à tous – auquel les informations nécessaires sont intégrées en temps utile – peut durablement accélérer le processus de planification.

L’IPD en Suisse

Quels types de projets de construction sont adaptés à l’IPD?

L’IPD recèle des avantages en particulier en cas de projets très complexes et de longue haleine qui nécessitent une gestion flexible pendant la phase de planification. Grâce à l’implication des experts requis dès le début du projet, la complexité est réduite à quelques caractéristiques et modèles.

Parmi les projets de construction complexes, citons les bâtiments hospitaliers. Depuis 2012, les hôpitaux suisses sont responsables de leurs propres bien-fonds et, à ce titre, peuvent déterminer eux-mêmes leurs modèles de réalisation. D’après Medinside (2016), dans les 15 prochaines années environ 70 hôpitaux seront planifiés pour près de 15 milliards de francs. Toutefois, 78% des hôpitaux appartenant au secteur public, il faut recourir pour les projets de construction à une procédure d’appel d’offres principalement axée sur le prix. Cela n’est pas compatible avec l’IPD d’après laquelle les entrepreneurs doivent être choisis en fonction de leurs qualifications et de leur expérience.

En ce qui concerne le type de projet, l’utilisation de l’IPD est envisageable lorsque les entrepreneurs ne sont pas sélectionnés sur la base d’un appel d’offres privilégiant l’offre la plus avantageuse financièrement. En Suisse, cela peut s’appliquer aux quatre types de projets principalement mis en œuvre, à savoir les projets réalisés avec des prestataires individuels, un planificateur général, un entrepreneur général ou un entrepreneur total. Le schéma ci-dessous n’a cependant pas vocation à être exhaustif puisqu’il peut aussi exister des formes mixtes.

Dans les modèles avec prestataires individuels et planificateur général, le maître d’ouvrage conclut lui-même des contrats avec les différentes entreprises. Du fait de cette organisation, ces modèles ne sont pas vraiment adaptés à l’IPD. La charge administrative nécessaire pour vérifier la qualité de toutes les entreprises serait trop importante. Celles-ci sont donc sélectionnées au moyen d’une procédure d’appel d’offres classique. Dans les modèles avec entrepreneur général et entrepreneur total, le maître d’ouvrage ne conclut de contrats qu’avec les intervenants clés. C’est pourquoi il est plus simple de trouver ici les partenaires adéquats pour une réalisation de projet intégrée. Les intervenants clés emploient ensuite des sous-traitants, eux-mêmes sélectionnés par appel d’offres.

Potentiel

En Suisse, une politique de taux d’intérêt bas et l’immigration entraînent globalement la hausse des investissements dans l’immobilier effectués par des fondations de placement et des maîtres d’ouvrage. De ce fait, le secteur a connu dans les années 2010 un boom avec des volumes d’affaires importants, toutefois les rendements attendus n’ont pas vraiment suivi. Cela s’explique par la complexité croissante des projets de construction de bâtiments et, par conséquent, la hausse du nombre de participants aux projets, l’augmentation de la pression en termes de coûts et de délais ainsi que des processus dépassés. Il en résulte une baisse de qualité alors que par ailleurs, les exigences en matière de durabilité et de sécurité ne cessent d’augmenter. La question se pose donc de savoir si l’application de la méthodologie IPD pourrait permettre d’améliorer l’efficacité et la rentabilité du secteur suisse de la construction.

De manière générale, il y a en Suisse suffisamment de projets de construction qui rempliraient les conditions précitées en matière de mise en œuvre de l’IPD. Pour les entreprises de construction d’une certaine taille qui utilisent déjà le BIM, l’IPD peut s’avérer très intéressante, notamment pour améliorer l’efficacité de réalisation des projets longs et complexes. La décision finale revient au maître d’ouvrage qui doit y trouver des motivations suffisantes et être prêt à assumer une certaine part de risque. Pour les PME, l’IPD représente un risque plus important en raison de la structure de rémunération variable. Pour les projets peu complexes et lorsque le BIM n’est pas utilisé, l’IPD ne semble pas non plus très appropriée.

La réalisation de projet intégrée peut certes être mise en œuvre pour chaque projet, mais les avantages varient en fonction du type de projet et de l’application. Pour le secteur de la construction en Suisse, le potentiel reste fort – dans la mesure où l’on arrive à faire travailler tous les participants à la réalisation d’un objectif commun plutôt qu’à la poursuite d’intérêts individuels. Bien que les hôpitaux, qui remplissent une mission de service public, ne soient pas adaptés à l’IPD, il existe bien d’autres types de projets de construction pour lesquels l’IPD permettrait de gagner du temps et de l’argent.

 

 


Sources

F. Heinrich. «Integrated Project Delivery – IPD. Ein Realisierungsmodell für die Schweiz?» Masterarbeit an der ETH Zürich (2018)

The American Institute of Architects (AIA). “Integrated Project Delivery: A Guide” (2007)

F. Elghaisha, S. Abrishamia, M. Reza Hosseinib, S. Abu-Samrac, M. Gaterella. “Integrated project delivery with BIM: An automated EVM-based approach” Automation in Construction 106 (2019)

P. Piroozfara, E.R.P. Farrb, A.H.M. Zadehd, S.T. Inacioe, S. Kilgallone, R. Jina. “Facilitating Building Information Modelling (BIM) using Integrated Project Delivery (IPD): A UK perspective” Journal of Building Engineering 26 (2019)

A. De Marco, A. Karzouna. “Assessing the Benefits of the Integrated Project Delivery Method: A Survey of Expert Opinions” Procedia Computer Science 138 (2018)

A.H. Fakhimia, J. Majrouhi Sardroudb, S. Azharc. “How can Lean, IPD and BIM Work Together?” 33rdInternational Symposium on Automation and Robotics in Construction (ISARC 2016)

Medinside.ch “Spital-Bau-Boom in der Schweiz: Ist das noch gesund?” (2016)

A propos de l'auteur

pic

Moritz Lüscher

Responsable numérisation

[email protected]

Partager l'article