« Une alliance autour de projets à la suisse est nécessaire »

La SIA a élaboré un projet de cahier technique sur la gestion des contrats d’alliance, qui est actuellement en cours de consultation. Il sera présenté au public le 26 septembre 2023 au Kursaal de Berne. Ce cahier technique 2065 bénéficie du soutien de la Société Suisse des Entrepreneurs (SSE) ainsi que d'autres associations du secteur de la construction. Dans cet entretien, Heinz Ehrbar, président de la commission SIA 118, explique pourquoi ce nouveau cahier technique est nécessaire.

 

Aujourd'hui, peut-on encore mener à bien des projets de construction avec des contrats traditionnels ?

Bien sûr. J'ai moi-même été très impliqué dans le projet du tunnel de base du Gothard. En vue de la NLFA, maîtres d’ouvrage, entrepreneurs et concepteurs ont réfléchi à ce qui devait être fait afin que ce projet gigantesque réalisé avec des contrats traditionnels ne tourne pas à la mésaventure. Les entrepreneurs ont recommandé l’introduction de la garantie de bonne exécution et du règlement des litiges ainsi que l'application inchangée de la norme SIA 118. Les maîtres d’ouvrage ont eu la sagesse de tenir compte de ces recommandations et de les mettre en œuvre. Ce qui leur a réussi. Personne n'a été traduit en justice dans le cadre de ce projet. Conclusion : avec les mesures complémentaires adéquates, on peut mener à bien des projets de construction même avec des contrats traditionnels. Cela s'applique également aux pays qui connaissent déjà le système des contrats d'alliance. Car après tout, là aussi, seule une petite partie du volume d'investissement est réalisée via des contrats d’alliance.

 

Le cahier technique 2065 sera mis en consultation cet été. Pourquoi a-t-on besoin de nouveaux modèles de coopération entre concepteurs, maîtres d’ouvrage et exécutants, si les contrats existants fonctionnent ?

Avec les contrats traditionnels, le maître d’ouvrage est censé pouvoir décrire précisément les prestations à exécuter. Très souvent, c'est en effet le cas. Toutefois, dans certaines situations, comme les transformations, les travaux en cours d'exploitation ou les projets longs et complexes, ce n’est pas possible. En cas de divergences, des discussions s’engagent pour savoir qui doit assumer les conséquences financières. Le contrat d’alliance met fin à cette approche. Les risques sont assumés conjointement. Pour que cela soit possible, il faut une provision pour risque financier, intégrée aux coûts cibles déterminés conjointement. Ainsi, la culture de l'accusation n’a plus lieu d’être, car tous les partenaires répondent conjointement de la réussite du projet.

 

Les alliances autour de projets sont pratiquées et font l'objet d'un suivi scientifique dans le monde entier. Pourquoi a-t-on besoin d’un « modèle suisse » comme présenté dans le cahier technique 2065 ?

Dans le monde entier, pas exactement. Le recours aux alliances autour de projets se limite au monde anglo-saxon, à savoir la Grande-Bretagne, les États-Unis, l'Australie et le Canada, avec encore la Finlande et, plus récemment, l’Autriche et l’Allemagne. Le suivi scientifique existe depuis longtemps, mais il ne convainc pas toujours. Toutefois, pour l'exécution des travaux, les contrats doivent tenir compte de la culture de collaboration et du cadre juridique de l’endroit en question. Le monde anglo-saxon a une autre conception du droit que nous. On ne peut pas simplement copier des solutions de ces pays. Au cours des deux dernières décennies, l'Allemagne a prouvé qu'il y a un problème fondamental dans la réalisation de projets de grande envergure. Je peux l’affirmer car j'ai moi-même siégé à la commission de réforme pour les grands projets de construction en Allemagne. Le transfert de connaissances devrait en fait se faire dans l'autre sens, même s'il existe désormais de bonnes approches en Allemagne. Nous maintenons donc nos échanges avec l'Allemagne. Restent la Finlande et l'Autriche. La Finlande est un peu en avance sur nous, l'Autriche aussi. Le partage d'expérience avec ces pays est également intéressant. Mais en fin de compte, pour les maîtres d’ouvrage publics, le contrat d'alliance doit tenir compte du droit suisse en matière de marchés publics et de financement. Le copier-coller de modèles étrangers ne fonctionne pas.

 

Ce cahier technique est-il pensé comme un outil pour contourner les risques de notre secteur, ou en quoi apporte-t-il une valeur ajoutée ?

« No construction project is risk free. Risk can be managed, minimised, shared, transferred, or accepted. It cannot be ignored. » Cela signifie qu'aucun projet n'est sans risque. Le risque peut être géré, atténué, partagé, transféré ou accepté. Il ne peut pas être ignoré. Sir Michael Latham en était conscient en écrivant son rapport « Constructing the Team » en 1994. Il n'y a donc aucun moyen de contourner les risques. La valeur ajoutée du cahier technique réside dans le fait que les partenaires contractuels se penchent dès le départ et de manière transparente sur les risques potentiels, qu’ils définissent conjointement les mesures nécessaires et en tiennent compte autant du point de vue des délais que des coûts. Dans le système contractuel suisse traditionnel, il est beaucoup trop facile de se cacher derrière le prétendu imprévu, bien que les risques soient prévisibles dans la plupart des cas. Il est aussi urgent de changer d’approche dans la gestion traditionnelle de projets.

 

L’image du secteur de la construction pourrait-elle s’améliorer si l’on construisait davantage dans le cadre d'alliances ?

Je vous réponds par une autre question : a-t-on besoin d'améliorer notre image  ? Lors de l'inauguration du tunnel de base du Gothard, un projet à plusieurs milliards, cet ouvrage a suscité l’attention du monde entier et tout le monde a admiré le savoir-faire du secteur suisse de la construction. Cela dit, si les alliances autour de projets remettent au premier plan la notion d’organisation constructive dans la construction et éliminent les querelles, cela ne peut être que bénéfique pour la promotion de la relève et l'image de la branche. « Plus de constructions, moins de divisions », telle est notre devise.

 

Quel rôle joue la numérisation dans les alliances autour de projets ?

Les alliances autour de projets fonctionnent aussi sans numérisation. Mais celle-ci peut constituer une aide supplémentaire. Cependant, la numérisation sans alliance est difficile à mettre en œuvre, si, par numérisation, on entend le flux continu de données exploitables par des machines et sans perte tout au long du cycle de vie de l’ouvrage. Cela signifie que maîtres d’ouvrage, concepteurs et entrepreneurs travaillent sur des plateformes communes qui répondent aux exigences énoncées. Le contrat d'alliance aide alors à trouver des solutions. Aujourd'hui, ce n'est souvent pas encore possible. En outre, l'introduction du BIM suppose d’appliquer le principe « construire d'abord virtuellement, puis numériquement ». Pour cela, l'entrepreneur qui construit réellement doit être impliqué dès la phase de planification numérique. Ce point est également réglé par le contrat d'alliance. Encore une fois, aujourd'hui, cette exigence n’est souvent pas remplie.

 

La SIA a élaboré un projet de cahier technique sur la gestion des contrats d’alliance, apportant ainsi une contribution essentielle à l’établissement de partenariats dans la construction. Le 26 septembre 2023, au Kursaal de Berne, elle présentera publiquement son projet et le soumettra à discussion conjointement avec la SSE, suisse.ing et l’Institut pour le droit de la construction de l’Université de Fribourg. Pourquoi les décideurs des entreprises de la construction devraient-ils assister à ce colloque ?

Quand on parle d’IPD, d’alliances, etc., beaucoup de demi-vérités circulent, ce qui ne fait que créer la confusion. Nous voulons clarifier les choses et contrer certaines affirmations sans fondement scientifique, qui, au passage, font plus de tort que de bien au secteur de la construction. Notre modèle d'alliance autour de projets a été élaboré en collaboration avec l'Université de Fribourg, en tenant compte des conditions suisses. Nous voulons montrer les avantages de ce type de modèle, mais aussi souligner les conditions qui doivent être remplies pour se lancer dans un tel projet. Le colloque a pour but d’informer et de motiver les maîtres d’ouvrage, les entrepreneurs et les concepteurs à démarrer les premiers projets pilotes. Sans preuve concrète, en Suisse non plus, on ne progresse pas. Les expériences tirées de projets en Allemagne ou aux États-Unis ne sont que d’une utilité limitée pour les entrepreneurs suisses. L’objectif est que, à l’issue du colloque du 26 septembre, les participants aient compris les règles de base d'une alliance autour d’un projet selon le modèle du cahier technique SIA 2065.

 

Quand le cahier technique 2065 entrera-t-il en vigueur et comment sera-t-il diffusé au sein de la branche ?

Cela dépendra un peu des retours au terme du processus de consultation actuellement en cours. Si tout se passe bien, nous espérons être sur le marché à l'été 2024 (1er août 2024) avec les versions allemande et française du cahier technique et du modèle de contrat. Les versions italienne et anglaise arriveront ultérieurement.

 

Colloque sur le cahier technique SIA 2065, 26 septembre 2023, Bern

A propos de l'auteur

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Susanna Vanek

Rédactrice

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